Me zo ganet e kreiz ar mor
Il est
assez rare d'expérimenter des changements d'univers, d'atmosphère aussi brutaux
que lorsque l'on est sur l'eau...
Depuis
quelques semaines déjà, je pratique cet exercice grâce à un ami qui me fait la
bonté de m'inviter sur son bateau tous les longs WE que Dieu et la République
nous accordent au mois de Mai.
Pour
comprendre l'effet que ça me fait il faut que je revienne sur une petite
histoire qui date de mon adolescence.
Comme je
l'écrivais dans le tout premier post de ce blog où je rendais hommage à mon
grand-père, ce dernier était marin et breton qui plus est. Je parlais de son
respect pour les phares, les Paradis qu'on trouve à terre, les Purgatoires
entre deux eaux et enfin les terrifiants phares de pleine mer, les Enfers. Ceux
qui se font tabasser à coup de vagues godzillesques, plus hautes que des
immeubles, pendant les tempêtes qu'on ne trouve que dans ma Bretagne natale.
Un beau
jour du seigneur, durant mon adolescence, nous déjeunions ma famille et moi
chez ce même grand-père...
La maison
familiale est située à Port-Louis, siège historique de la Compagnie des Indes.
Elle est située à 5m de la mer, et porte le joli nom de Stirenn er Mor,
"étoile de mer" en breton. C'était une maison modeste selon les
critères actuels, mais pleine de charme, toute en pierre blanchie à la chaux et
qui sentait la javel, que ma grand-mère persistait à utiliser pour nettoyer la
maison... A l'époque, la javel le disputait aux senteurs d'un rôti de
porc-patates à la moutarde, d'un poulet rôti délicieusement gras et parfumé, ou
des senteurs limpides plus acides des poissons ou crustacés pêchés juste à côté
de là, la nuit même, pendant que je dormais encore profondément dans mon lit de
gamin.
Gamin, je
montais les marches de l'escalier en bois flotté, sculpté par mon grand-père,
sa grande fierté, pour arriver dans la salle à manger, et me laisser gagner peu
à peu par toutes ces odeurs. Je prenais tout mon temps pour monter ces marches,
car on pouvait tout percevoir, jusqu'à l'air de poussière et de veilles
coquilles épinglées aux murs dans un parfum de vieux sel et d'iode, patinée
d’exhalaisons, elles plus humaines, de l'eau de beauté de ma grand-mère et du
tabac gris à pipe de mon grand-père : le fameux "gros cul" infumable,
qui sent le caramel doucement rance. Une magie olfactive qui ne disait pas son
nom mais qui cimentait et cimente toujours ma jeune identité et mes petits
souvenirs d'enfance.
Je
prenais donc mon temps à chaque fois qu'il s'agissait de gravir ces marches...
Au bout de mon périple d'odeurs et de parfum, j'aboutissais dans la plus grande
pièce de la maison : la salle à manger.
Là, les
senteurs et fragrances enfantines, l’odorat, laissaient la place à la vue...
Imaginez
une grande pièce rectangulaire, aux meubles spéciaux, à la fois beaux et
terriblement kitsch... Des meubles
sculptés par mon cher aïeul, comme l'escalier, dans les rondeurs et les angles
d'un style morbihanais (petite mer, décidément elle est partout) du meilleur
effet. Des meubles que l'on trouvent rédhibitoirement laids et décalés lorsque
l'on est ado, mais à qui l'on peut donner une chance, une toute petite chance,
du fait de la complexité de leurs formes et du tout petit brin d'intelligence
qui transpire de la bêtise tout juste post-pubère. La toute petite chance,
disait-on, d'abriter des rêves que l'on pourrait avoir, qui, à force d'habitude
et d'ennui dominical obligatoire se projetteraient, se graveraient dans le
bois. Vouip, à force d'ennui, de patine de dimanches d'hiver, où il faut bien
l'avouer, y'a pas grand chose à branler quand on a 15 ans...
Foin de
digression, je me trouvais donc attablé dans cette salle à manger, unique
certes dans son kitsch, mais surtout dans sa douce harmonie bien familière...
Cette
pièce était décorée, non, plutôt entourée de cadres. Des cadres... des
huiles... des aquarelles, fusains, pastels et lavis représentant devinez quoi?
Des Bateaux !!!... autant d'éléments ayant toujours fait parti du décor, du
cadre de mon enfance. Le genre d'élément que l'on ne remet jamais en cause, que
l'on ne voit même plus, comme la vierge d'eau bénite sur la table de nuit, le
torero poussiéreux ramené d'Andorre trônant sur le napperon recouvrant le vieux
téléviseur noir-et-blanc à 4 chaînes et 5 boutons, les tapisseries gitanes
grossièrement tissées magnifiant des scènes de carrioles au bord de courts
d'eau lointains, des boules de neige d'un énième pèlerinage...Bref... des
éléments de décoration.
A table,
sait-on pourquoi, peut-être une sortie précoce de l'âge bête, après les
langoustines, le rôti, le dessert, le café des grands, et l'énième digeo, moi,
effronté, pose une question avec toute la fraîcheur d'un ado qui commence à
sortir de sa condition, prenant conscience de son environnement. Question bien innocente ma
foi... Mais quelle bombe n'ai-je pas lancée ce jour là :
"
Papy? C'est quoi tous ces tableaux de bateaux au mur?"
Je crois
que le silence de dix tonnes qui a suivi a été l'un des plus longs que j'ai eu
l'occasion d'expérimenter.
"
JACQUES !! (mon père...), éructe mon grand-père.
- Oui?...
-...
-.......
- Tu ne LUI as rien dit ?!? ré assène l'aïeul
violent.
- Et pourquoi aurais-je du le faire? Contre
"mon-papa-adoré" en opposition de demi-rébellion face à la figure
sur-paternelle (où est l'autorité pour un jeune mâle tout juste sorti de
l'enfance, papa? papy?).
-...
(silence outré)
-...
(silence buté) "
Mon
grand-père et mon père se font face dans le plan de table établi depuis
toujours... Pendant longtemps... très longtemps... et quelque chose se passe...
(Rom=16, Géniteur= 48 ans, Alpha-géniteur= 87 ans)
Mais pour
comprendre il faut faire un p
- Système
endocrinien bizarre : la caféine m'endort, mon frère est insensible au
somnifère et mon grand-père aux antalgiques, morphine comprise, mon père kedalle,
pas de bol...
- On est tous
taillé comme des nains de la Moria : toujours l'impression d'être plus larges
que haut => (papy Hauteur 1m56 Tour de Poitrine 1m06), (le pater H 1m68 TdP
1m14), (moi H 1m79 TdP 1m27) mesuré un soir de Noël par les femmes qui nous
aimaient (elles étaient très fières nos femmes apparemment !... ou très
moqueuses qui sait? Bonne rigolade de femmes de différentes générations Ô
combien complices et Ô combien classes! ( ben woué parfois, qu'il est doux de
rendre les armes et d'être bien benêt et docile :)
Mais,
mais, mais, le plus important... ce qui nous rend probablement un peu séduisant
aux yeux des femmes qui nous font l'honneur de nous avoir choisi.
Un témoin
génétique de ce que je craignais enfant... Les GROS YEUX...
Dans ma
famille, la couleur de nos yeux change en fonction de nos humeurs :
- le
Grand-père a les yeux bleu-arctique qui deviennent bleu-tempête quand la colère
monte sans rien demander... Combien de fois ai-je vu ces yeux changer de
couleur, parce que j'avais trempé mon doigt dans le beurre, que mes mains
sentaient la mer, que mes chaussures étaient sales...
- Mon
Père a les yeux jaunes... vraiment jaunes... qui deviennent vert foncés quand
je mens, quand je ramène un mauvais bulletin, quand je me suis fait coller une
énième fois....
- El
Frangin, hermanito, a les yeux ambres, une couleur exceptionnelle, qui virent
rarement... Et d'ailleurs, quand je les ai vu virer c'était dramatique, ils
passaient du bleu sombre, au vert jade, plein de nuances, sans doute à cause du
sang circulant dans nos iris... mais pour des causes vraiment graves...
Bon...
finies les listes !... On en était au :
-... (silence buté) , de mon père.
-...
-...
-...
-...
- … Bon si tu lui a rien dit mon fils, je vais m’en charger ! »
La suite au prochain numéro....