Vox Populi (2nde manche)
J'ai aussi revu mon Jedi en jupon et on s'est fait une toile tous les deux. Je ne sais pas comment ça va évoluer...
Piqure de rappel pour ceux qui ne connaissent pas le Jedi en jupon :
Il y a quelques jours, une amie et moi avons décidé d'aller au cinoche.
Avant la séance, je m'aperçois que je n'ai rien avalé de la journée. Du
coup, pendant qu'elle se fume une clope en téléphonant à un de ses
étudiants, j'entre dans le restaurant gastronomique américain le plus
proche du cinéma, pour me commander un gros menu Mac Dégueu avec un
plaisir honteux et une excitation de gamin voleur de sucettes... le
bonheur ! En faisant la queue, je me sens léger. Il fait beau, le
soleil se couche sur ma ville, projetant cette lumière ambre et rose
sur tout ce qui m'entoure. Le matin même, ma voisine de 75 ans, à
laquelle j'avais rendu service en changeant chaotiquement un joint
d'évier en prétendant être un pro (quelle blague !), m'avait offert des
chocolats en m'assurant qu'on avait cassé le moule de jeunes hommes
comme moi depuis bien longtemps. Un peu plus tard une jolie contrôleuse
du bus, m'a épargné ses foudres en échange d'un sourire et de la
promesse que "Juré ! la prochaine fois je paye mon ticket !". Dans
l'après-midi, le Collège de France, m'appelle pour me faire part d'un
projet ambitieux auquel il faudrait que je participe "absôôôlument".
Dix minutes plus tard, on me propose le poste de responsable
scientifique d'une boite d'I.A... Enfin bref, une bien belle journée
mes amis !
Et là, ceux qui me connaissent attendent bien sagement avec un demi-sourire que ça tombe dans le gore, ou au mieux, dans l'humour noir. Mais non ! Même pas ! Pas cette fois-ci !
Je faisais donc la queue dans ce fast-food avec, je l'imagine, un sourire des plus niais scotché sur la face. Mon tour arrive, je m'apprête à commander ma ration de survie de la façon la plus commune : c-à-d le nez en l'air, fixant bêtement les enseignes lumineuses énumérant les différentes variantes de sandwich au gras et de boissons sur-caloriques, proposés à ma concupiscence, quand soudain quelque chose me fait baisser les yeux...
Une voix !! Mais quelle voix mes aïeux !! Une voix magique sortie de la petite serveuse haute comme trois pommes qui me regarde avec de grands yeux immenses que souligne un grand sourire tout juste sorti de l'enfance , contenant en lettres d'albâtre toute la joie de vivre, l'innocence, la fraicheur de quelqu'un à qui la vie ne peut que sourire. Quelle confiance dans ce sourire ! Quelle harmonie dans cette voix !
J'ai toujours été très sensible aux voix quelles qu'elles soient, mais surtout aux plus belles d'entre elles. Je pense que les voix sont comme les vins, elles se goûtent, se dégustent, certaines sont âpres d'autres douces, dures, longues en bouche. Vibrantes au palais, ronde ou encore fruitées. Il y a des parfums et des saveurs dans les voix. Une voix possède une robe, robe teintée des couleurs du passé et de l'expérience, ou robe d'une blancheur virginale. Robe de voix de vieillard dont les tons atones, effritent les nuances d'un camaïeu d'automne, de fin de vie bien remplie. Voix délavées de gens tristes ayant perdu leurs couleurs. Voix d'armure, voix de fer ou de velours. Voix de commandement, de corruption, de soumission. Voix de désir, enivrante, cassée, haletante, presque rauque, qui vous déshabille l'âme en quelques sons.
On peut écouter l'âme de quelqu'un si l'on sait
entendre sa voix. Dieu que de choses peuvent être contenues dans
certains sons ! Mes voix préférées sont les voix sortilèges : qui comme
une potion magique contiennent divers ingrédients précieux et rares qui
assemblés, enchantent le cœur et trompent les sens. Un peu de larmes
bleues de fée, quelques copeaux d'écorce d'arbre à rêve, un pincée de
limaille d'ironie, quatre gouttes de rire d'enfant, une lichette de
piment des diables, une bonne dose de bonne humeur ordinaire et le tour
est joué...
Ces voix ont la beauté immatérielle qui tranchent dans la réalité comme
le feraient certaines lames de légendes, des daishō du japon antique,
pliés couche après couche par un maître forgeron, des milliers et des
milliers de fois, chaque couche étant la marque d'un art et d'une vie
symbolique, pour leur conférer souplesse et pénétration à nul autre
pareil.
"Bonjour, bienvenue chez Mac Donald's ! Puis-je prendre votre commande?
- ...
- Monsieur?
- Euh...oui..oui, pardonnez-moi."
Ce qui me marque plus que tout dans cette voix,
et que je n'avais jamais entendu auparavant, qui ne m'était jamais
arrivé auparavant, est que cette voix avait le pouvoir de jouer avec
mon temps intérieur. Oh pas de grand chose ! Quelques micro-secondes
simplement... J'entends les sons sortis de ce petit être magique, et
pendant un infime laps de temps, cet écho résonne en moi. Le sens des
mots est en quelque sorte subordonné à leur musique propre, abstraite...
Ça y est ! J'ai trouvé ! Cette jeune femme ne parle pas, elle
incante... Elle manipule les sons de pouvoir, ce doit être un Jedi en
jupons. Je comprends tout très très légèrement à retardement. Ces mots
ont un impact sur mon tissu intérieur, sur la membrane de mon surmoi,
déclenchant une baston intérieure entre ma comprenette et mes sens pour
le partage des mots qu'elle égrène dans les odeurs de fritures rances
et de viandes trop cuites.
Je reste muet quelques temps, tape mon code de CB comme un zombie, puis la regarde avec un air qui doit être du plus haut comique, vu le sourire goguenard qui se dessine sous sa visière d'employée dynamique.
" Mac Donald's vous remercie ! Bonne soirée monsieur !
- ...
- Monsieur?
- Vous avez une voix à rester sans voix mademoiselle... "
Léger rosissement des joues.
" Je peux vous retourner le compliment ! incante-t-elle guillerette.
- Nan mais sérieux! vous devriez en faire quelque chose !"
Silence gêné de sa part
"J'ai dit quelque chose de mal ? demandai-je, inquiet...
- Non, non... Je faisais de l'assistance aux suicidaires par
téléphone avant de travailler ici, j'adorais ça mais les horaires
étaient infernaux... Et c'est la première fois qu'on me dit depuis deux
ans quelque chose sur ma voix. Et ça me rappelle avant...
-... ah bon, c'est cool ça, l'assistance aux..., lançais-je plein d'inspiration"
Et là on est interrompu par un impatient, très pressé de s'enfiler sa malbouffe. Je lui dis au revoir, prends mes paquets et me dirige vers la sortie.
"Monsieur ?!?
-Oui?
-Merci !
Echange de sourires...
Je n'aurais jamais pensé que "1 Big Mac et 1 grande frite, ça marche !" soit une formule magique...
On en apprend tous les jours...